Dans la mire
La diffusion radio avait une bonne dizaine d'années lorsque le téléviseur
Ouimet (691044) fut fabriqué à Montréal en 1932. Son jeune concepteur,
Alphonse Ouimet, utilisait la méthode du balayage mécanique des signaux,
rendue célèbre par John Logie Baird en Grande-Bretagne et Charles Francis
Jenkins aux États-Unis. Les entreprises de ces deux hommes étaient
actionnaires de la société Canadian Television Ltd, pour laquelle Ouimet
travaillait.
Tout comme aujourd'hui, la télévision reposait sur le balayage rapide d'une
scène en une série de lignes. Regroupées sur l'écran d'un appareil récepteur,
ces lignes donnaient l'illusion d'une image complète. La scène devait être
balayée plus de douze fois à la seconde pour que le cerveau perçoive la série
changeante d'images fixes comme une seule image en mouvement. Le
balayage mécanique se faisait généralement au moyen d'un disque Nipkow,
plateau circulaire perforé d'une suite de trous disposés en spirale. À mesure
que le disque tournait devant un sujet éclairé, les trous balayaient
successivement des segments adjacents de la scène. La lumière réfléchie par
le sujet traversait le trou et atteignait une cellule photo-électrique derrière le
disque, ce qui produisait un courant électrique d'intensité variable. Ce courant
contrôlait une lampe située à l'intérieur du récepteur, ce qui provoquait le
passage de la lumière à travers un autre disque et reproduisait l'image originale
derrière un écran translucide.
 Faible définition mais quel style ! Montréal, 1932. À l'intérieur de cet appareil dernier cri, un disque en rotation traçait de tremblantes images rouges et noires sur l'écran. (Peter Lindell, MSTC) |
Comme la plupart des téléviseurs à
disque Nipkow, le récepteur de
Ouimet donnait une image pâle.
Parce que le balayage se faisait sur
60 lignes seulement (plutôt que 525,
notre norme), l'image ne montrait pas
tous les détails. De plus, puisque la
lampe au néon émettait une lumière
rougeâtre, l'image était noire et
rouge. Les téléspectateurs avaient
aussi besoin d'un récepteur radio
pour capter le signal audio, transmis
sur un autre canal. Malgré ces
défauts, le chic meuble art déco de
ce prototype traduit bien l'ambition
de Canadian Television Ltd, qui
voulait commercialiser le téléviseur
Ouimet en tant qu'objet de
consommation de haute technologie
luxueux.
La station radio CKAC de Montréal a commencé à diffuser régulièrement des
émissions expérimentales en direct en 1932, même si seulement une poignée
de gens avaient fabriqué ou acheté des téléviseurs pour les regarder. Au mois
d'octobre, une démonstration organisée au magasin Ogilvy de Montréal par
Canadian Television Ltd. a attiré des milliers de curieux. Mais c'était la Crise
économique et la société, incapable de réunir les fonds nécessaires à la
fabrication de téléviseurs, a cessé peu après ses activités. La station CKAC a
mis fin à ses émissions de télévision en 1933. Alphonse Ouimet s'est joint à la
nouvelle Commission canadienne de radiodiffusion et est devenu plus tard
président de la Société Radio-Canada (SRC), qui a succédé à la
Commission. Lorsque la SRC a ramené la télédiffusion au Canada en 1952,
l'encombrant balayeur mécanique avait déjà été remplacé par un système à
rayonnement d'électrons qui balayaient l'intérieur d'un tube à rayons
cathodiques.
Comme la plupart des objets vidéographiques de Connexions, le téléviseur
Ouimet est un récepteur. Contrairement à la radio, la télévision s'est d'abord
et avant tout révélée un média de grande diffusion, reposant sur un puissant
transmetteur central qui diffusait des messages à une multitude de petits
récepteurs. Les téléspectateurs consommaient non seulement des émissions,
mais aussi les produits qu'elles annonçaient. En fait, l'auditoire lui-même est
devenu un produit bien ficelé, à vendre à des agences de publicité. De nos
jours, les gens peuvent créer leur propre télévision ou du moins choisir
davantage ce qu'ils veulent regarder et le moment où ils le font. Mais la
diffusion à grande échelle des émissions vidéo est toujours contrôlée par de
grandes sociétés et la télévision commerciale prospère.
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