Récits
L’exploration du Canada

Scene Description: Claire, et Mamie mettent la dernière main à leur modèle réduit. Assis sur une chaise à leurs côtés, Papy les regarde avec intérêt.

Marc : Et voilà, c’est fait ! Mais il n’a pas tout à fait l’allure de ton avion, Papy.

Claire : C’est vrai. Il a l’air plus ancien…

Papy : Tu as raison, Claire. C’est un avion de brousse comme le mien, mais il date de 1930. L’Aviation royale du Canada utilisait ce Vickers Vedette pour les patrouilles forestières et la photo aérienne.

Claire : Ouaouh ! Tu connais vraiment tout sur les avions, Papy !

Papy : (rit) Quand j’étais jeune, vois-tu, les avions étaient encore une nouveauté, ce qui les rendait d’autant plus fascinants ! J’ai appris tout ce que j’ai pu à leur sujet, avant même d’entrer dans l’armée de l’air. Mon père me racontait les aventures de pilotes de brousse comme Punch Dickins. Je rêvais de reproduire leurs exploits !

Marc : (perplexe) Que signifient « vol de brousse » et « pilote de brousse » ? Et puis, c’était qui, Punch Dickins ?

Papy : Au Canada, le « vol de brousse » est le vol effectué dans les régions très éloignées des grands centres – notamment certaines parties du Grand Nord – qui sont très difficiles à atteindre par terre ou par mer. Les pilotes de brousse se rendent dans ces régions où leur présence est très importante pour diverses raisons. Tu vois cette. Peux-tu me l’apporter, Claire ?

(Claire apporte la carte)

Merci.

Jusqu’à ce que des avions puissent s’y rendre, parcourir ces endroits isolés était une entreprise longue et périlleuse. On s’y rendait en canot sur les rivières, à pied ou en traîneau à chiens, en parcourant un immense territoire sauvage pour lequel il n’existait pas encore de cartes.

Claire : Il n’y avait pas de cartes de géographie ?


Deux Fairchild FC-2 et un attelage de chiens
(MAvC 2803)

Papy : Il y avait bien des cartes des côtes et des principales voies d’eau, mais on ne possédait aucun relevé des régions lointaines. Comme les explorateurs ne pouvaient voyager qu’à pied ou en canot, les régions qu’ils atteignaient et qu’ils pouvaient cartographier se situaient surtout le long des rivières et autour des lacs.


Premier vol d'un Curtiss JN-4 « Canuck » équipé de skis au Canada
(MAvC 4808)

Et les communautés qu’ils rencontraient – les Inuit et autres indigènes des Premières Nations – avaient leur propre système d’orientation. Leurs cartes ressemblaient davantage à des récits portant sur la durée d’une expédition ou les événements survenus en cours de route, et les situations dépendaient aussi des saisons de l’année. Ils dessinaient parfois, avec du charbon de bois, des cartes sur la peau d’un animal, ou dessinaient un tracé sur le sol. Leurs cartes aidèrent les explorateurs à établir les cartes permanentes que nous utilisons aujourd’hui.

Marc : C’est incroyable. Mais je suppose qu’avec l’invention de l’avion les pilotes ont pu survoler le Grand Nord et le cartographier beaucoup plus facilement, non ?


D.H.9 équipé de skis de Laurentide Air Service
(MAvC 17888)

Papy : Pas si vite, Marc ! N’oublie pas que les postes de pilotage des premiers avions étaient ouverts, de sorte que le pilote était exposé au vent, à la pluie et au froid ! De plus, ces avions ne pouvaient aller très loin sans devoir refaire le plein.


Le pilote Roméo Vachon et un Curtiss JN-4 « Canuck »
(MAvC 2168)

Après la Première Guerre mondiale, en 1918, certains avions militaires ont été modifiés au Canada. On les a munis de skis ou de flotteurs afin qu’ils puissent se poser sur la neige, la glace ou l’eau.

Les pilotes pouvaient donc atteindre des régions plus éloignées et les avions livrer du matériel à leurs communautés beaucoup plus rapidement qu’on ne le faisait traditionnellement par bateau, traîneau ou canot. Un voyage qui prenait autrefois des semaines et même des mois ne prenait plus que quelques jours !



22753C

Marc : C’était dangereux ?

Papy : Oh que oui ! Il fallait que les pilotes soient habiles et astucieux car ils ne disposaient d’aucun moyen de communication en cas d’ennuis. Ils devaient aussi être prêts à subir de très mauvaises conditions : imagine-toi survolant le Grand Nord dans un poste de pilotage ouvert à tout vent ! Les premiers pilotes de brousse canadiens étaient de courageux vétérans de la Première Guerre mondiale. Ils ont été les premiers, en 1920, à effectuer la première traversée transcanadienne, de Halifax à Vancouver. Combien de temps leur a-t-il fallu, d’après toi ?


Curtiss HS-2L Flying Boat
1967-0885-001

Marc : Eh bien… un temps assez long… peut-être deux jours ?

Papy : Tu n’y es pas ! Il leur a fallu trois types d’appareils différents et plus de dix jours de vol ! Ils ne disposaient d’aucun instrument de navigation et s’orientaient en observant rivières, lacs, ville et voies ferrées. C’étaient de véritables aventuriers (ton révérencieux). Ils parlaient des voies ferrées comme de leur « boussole d’acier ». En 1949, les avions avaient à ce point changé que le North Star, construit par Canadair, franchissait la même distance, sans escale, en huit heures et demie. Toute une différence, n’est-ce pas ?


Canadian JN-4 / First Air Mail Flight
1967-0888-001

Le capitaine C.W. Cudamore et le lieutenant-colonel W. Tylee sur un D.H.9A ayant participé au premier vol transcanadien, 1920
(MAvC 4624)

En 1927, certains avions étaient munis de postes de pilotage fermés, ce qui rendait la vie un peu plus agréable aux pilotes ! La tâche, toujours difficile, était devenue juste un peu plus endurable.


Bellanca CH-300 Pacemaker in Northern Québec
1967-0883-001

Claire : Tout cela m’a l’air terrible, mais en même temps passionnant…

Papy : Bien d’accord. Le froid devait être intense et voler en hiver devenait extrêmement dangereux en raison des tempêtes de neige ou des défaillances du moteur toujours possibles. Il faisait aussi très noir, car à certaines périodes de l’hiver, dans le Grand Nord, le soleil ne paraît que quelques heures par jour. Et la boussole, qu’on appelle aussi compas magnétique, était inutilisable dans une grande partie du Grand Nord en raison de la proximité du pôle nord magnétique.


Inconnu posant devant un Fokker Super Universal sur skis
(MAvC 6260)

Canadian Vickers Vedette et Fairchild FC-2 sur une plage
(MAvC 17814)

Rappelez-vous : aucune carte de ces régions éloignées n’existait encore et les pilotes ne disposaient pas, bien entendu, de radio. Imaginez : même mon Beaver, qui n’est plus très jeune, est muni d’une radio !


Fairchild FC-2W et Bellanca Pacemaker à Rouyn (Québec)
(MAvC 3896)

Marc : Avoir le goût de l’aventure ne suffisait donc pas. Il fallait aussi être déterminé et astucieux…

Papy : Sans aucun doute. Imagine pourtant la sensation : savoir que tu es le premier à contempler ce territoire depuis les airs. Les pilotes de brousse qui volaient dans le Nord exploraient le Canada et contribuaient à la cartographie de régions du Canada qui étaient jusqu’alors représentés sur nos cartes par des espaces vides.


Canadian Vickers Vedette MK Va over Montréal
1967-0897-001

Ils ont aussi effectué des relevés forestiers, des patrouilles d’incendies et des transports de prospecteurs miniers en région éloignée.

Dans l’entre-deux-guerres, l’Aviation royale du Canada a créé sa propre division de vol de brousse qui effectuait des relevés photographiques dans le Nord, des patrouilles contre la contrebande et l’épandage de pesticides sur les cultures. Les pilotes de cette division ont aussi effectué des levers photoaériens qui ont aidé à tracer la route transcanadienne. En 1927, ils ont exploré le détroit d’Hudson à la recherche d’une voie navigable qui permettrait d’expédier des marchandises vers l’Europe depuis Churchill, au Manitoba.


Canadian Vickers Vedette II soulevé par une grue au quai de Canadian Vickers à Montréal (Québec)
(MAvC 1869)

Le tout premier avion de brousse au Canada était un Curtiss HS-2L et son pilote s’appelait Stuart Graham. Revenu de la guerre, il effectuait des relevés forestiers pour le compte de la Laurentide Pulp and Paper Company. Graham et son équipage furent les premiers au Canada, en 1920, à revendiquer des droits miniers en territoire accessible par avion.


Foothold in the Bush
1996-0193-001

Marc : Pas mal « cool »… mais Papy, tu devais me parler de Punch Dickins, pas de Stuart Graham !


Curtiss HS-2L en vol
(MAvC 12196)

Papy : Ah, ma mémoire a dérapé ! (rires). Rien ne t’échappe, Marc… Eh bien, Punch Dickins avait été pilote pendant la guerre, comme Stuart Graham, et il est devenu un des premiers pilotes de brousse à son retour au Canada. Il a ainsi parcouru en avion les Territoires du Nord-Ouest, survolant souvent des régions qui ne figuraient sur aucune carte. En 1928, il a fait un périple de 6 000 kilomètres afin de faire un relevé de ces territoires; personne n’avait jamais osé un tel parcours auparavant. Au cours de cette expédition, il a traversé les Barren Lands par la voie des airs, ce qui était une autre « première » ! Cet exploit lui a valu le trophée McKee qui est une reconnaissance prestigieuse dans le monde de l’aviation canadienne.


First Barren Lands Flight
1967-0886-001

First over the Barrens
1995-1624-001

Punch Dickins debout sur le flotteur d'un Fokker Universal
(MAvC 20908)

En 1929, Dickins fait de nouveau la manchette, cette fois pour avoir été le premier à atteindre par avion la côte ouest de l’Arctique.


Portrait de Punch Dickins, 1930
(MAvC 1238)

Claire : Y a-t-il d’autres pilotes de brousse célèbres ?

Papy : Bien sûr ! De nombreux pilotes de la Première Guerre mondiale sont passés à l’aviation commerciale à leur retour au Canada. Des hommes comme Wop May, un héros de la guerre.


Wop May
(MAvC 4210)

Marc : « Wop » ? « Punch » ? Quels noms bizarres !

Papy : Son vrai prénom, c’était Wilfrid. Wop est un surnom qu’on lui a donné quand il était petit. Revenu au Canada après la guerre, il monte une compagnie – May Airlines – qui ne marche pas très bien : il est sans doute trop visionnaire pour son époque. Après cela, il crée le Edmonton and North Alberta Flying Club, un des premiers aéroclubs au Canada. Il se conduit de nouveau en héros en 1929 : aux commandes d’un biplan Avro Avian, il franchit 800 kilomètres – de Edmonton à Fort Vermillion – afin de livrer des médicaments à une communauté aux prises avec une épidémie de diphtérie. Deux jours lui seront nécessaires, sous des températures glaciales, mais il y parvient.


Wop May
(MAvC 4210)

Wop May à bord d'un Sopwith Camel
(MAvC 6714)

Wop May (à droite) au retour de sa mission de sauvetage à Fort Vermillion (Alberta) en 1929
(MAvC 11336)

Wop May et Vic Horner à bord d'un Avro Avian
(MAvC 4211)

Claire : Pas étonnant qu’il ait été un héros !

Papy : Oui. Pour bien des gens, lui et Punch Dickins étaient des idoles. Au fait, Marc, le véritable prénom de « Punch » Dickins était Clennell (moqueur).

Wop May monte aussi une autre compagnie, la Commercial Airways, la première à assurer un service postal régulier vers les Territoires du Nord-Ouest. Or Punch Dickins est alors à l’emploi de Western Canada Airways, de sorte que les deux hommes se font concurrence ! Plus tard, Canadian Airways achètera ces deux compagnies.


Portrait de Wop May
(MAvC 2341)

Timbre-avion de Commercial Airways
(MAvC 1998-0498-1)

Claire : Y’avait de l’activité !

Papy : Eh bien, on s’active beaucoup vers le milieu des années 1920. Quelques sociétés aériennes entreprennent alors de transporter passagers et matériel vers de lointaines communautés minières du Québec et de l’Ontario… et Laurentide Air Service inaugure en 1924 le premier service aérien régulier au Québec.


I. Vachon, C. Townsend, et Roy Maxwell de Laurentide Air Service
(MAvC 5134)

Marc : Les avions ont bien changé, depuis...

Papy : YOui, et ils se transforment même à cette époque. Tu sais, ces vieux avions de guerre convertis en appareils de brousse tombaient souvent en panne ! Une défaillance en région éloignée, c’était grave. Il est arrivé que des pilotes et leurs mécaniciens aient dû camper pendant des jours avant qu’on ne les retrouve; certains sont même revenus à pied ! Souviens-toi : ils ne pouvaient faire savoir à quiconque où ils étaient et qu’ils étaient en péril.


Le pilote Pat Reid sur une planche entre les flotteurs d'un Fairchild FC-2
(MAvC 2844)

Claire : Être seul dans des régions sauvages sans vraiment savoir où tu es… ce doit être effrayant.

Mamie : Oui, terrible ! C’est pourquoi, dès 1921, on entreprend de remplacer les vieux appareils militaires « convertis » par les premiers appareils de brousse vraiment efficaces, tel que le Junkers F-13. Finalement, en 1927, le Fairchild FC-2 voit le jour; il était tout désigné pour les vols de brousse. Son poste de pilotage est fermé et il est équipé d’une caméra adaptée à la prise de vues aériennes.


Fairchild FC-2 Razorback
1967-0900-001

K.F. Saunders et George Lowe avec de l'équipement près de leur Fairchild FC-2
(MAvC 1403)

Fairchild FC-2 sur l'eau
(MAvC 6487)

Claire : Mais cela ne réglait pas le problème des pannes.

Papy : Non, mais il existe déjà à cette époque des moteurs bien plus fiables parce que refroidis par air. Voyez-vous, les vieux moteurs étaient refroidis à l’eau, et il arrivait à l’eau de geler par grand froid ! Malheureusement, les lubrifiants de ces moteurs subissaient mal les basses températures; il était nécessaire de les vidanger et de les garder à la chaleur jusqu’au moment du décollage !


Tim Sims et des assistants font l'appoint d'huile sur un Bellanca CH-300 Pacemaker
(MAvC 7169)

Voilà pourquoi il était important d’avoir un mécanicien expérimenté dans l’équipage. Plusieurs pilotes de brousse ne volaient pas sans lui, ou étaient eux-mêmes mécaniciens.

Marc : Et ton avion, Papy : il a lui aussi des flotteurs. Est-ce un avion de brousse ?


Un DHC-2 Beaver avance lentement sur la rivière des Outaouais près de Rockcliffe (Ontario)
(MAvC 35-021-10)

Papy : Les flotteurs ne sont qu’une autre sorte de train d’atterrissage, Marc. Le Beaver est un avion de brousse, en effet, mais un modèle beaucoup plus moderne que ceux dont nous avons parlé. Certains des premiers hydravions de brousse ressemblaient plutôt à un bateau avec des ailes ! La coque en bois était très fragile et les pilotes devaient se poser avec précaution; les roches ou les billots flottant en surface pouvaient les endommager. Il arrivait même que le bois de la coque s’imprègne d’eau avec le temps.


DHC-2 Beaver survolant Ottawa (Ontario)
(MAvC 35-021-4-A)

Claire : Les avions risquaient donc aussi de couler ?!

Papy : Ma foi, je suppose que oui ! Mais, heureusement pour eux, en 1935, arrive sur le marché un avion de brousse conçu au Canada, le Noorduyn Norseman, qui est mieux équipé que ces premiers hydravions. Sa structure interne est en métal, il est isolé contre le froid, doté d’une cabine plus vaste et équipé de flotteurs de métal. Bien qu’entoilé, il est très résistant. Mon Beaver est plus durable, car il est entièrement fait de métal. Mais je dois aussi être très prudent quand je me pose sur l’eau, Marc : les flotteurs risquent de s’endommager de la même manière !


Bob Cockeram's Noorduyn Norseman MK II "Ruth IV"
1967-0899-001

Noorduyn Norseman sur flotteurs
(MAvC 5371)

Marc : On peut faire un tour d’avion, maintenant ? Je veux voir comment c’était, pour ces pilotes !


Between Friends
2002-0411-001

Papy : D’accord ! On se prépare un dîner et on y va !